Blandine Barthélemy

Publié le 13/11/2024

Blandine Barthélémy façonne des objets utilitaires depuis la Normandie. Son travail, profondément ancré dans le territoire, honore avec justesse chaque essence de bois travaillée. Présentant 3 de ses pièces dans notre Sélection Objets Tactiles, nous avons voulu en savoir un peu plus sur sa démarche..

Bonjour Blandine, pouvez-vous vous présenter et nous expliquer votre pratique actuelle ?

Bonjour, je m’appelle Blandine Barthélemy, j’ai 41 ans, je vis dans le pays d’Auge en Normandie. Je me suis sédentarisée à la campagne sur un terrain de 3 hectares après des années d’itinérance sauvage à travers le monde en pédicycle, à la force du mollet. Je bivouaquais dans la nature. Avant cela j’étais graphiste freelance, issue des Beaux-Arts de Caen.

J’ai sculpté ma première cuillère en bois sur la route, avec un couteau de survie et en utilisant une braise pour creuser le bol ! Depuis 4 ans que je m’enracine en terre normande, je n’ai cessé de créer avec le bois. Plus que cela, je vis entourée d’arbres, j’interagis avec eux quotidiennement, à différents niveaux. J’en plante beaucoup, j’en trogne, j’en cueille, je les observe, je les écoute…

Quel est votre processus de travail ?

J’habite un terrain où vivent beaucoup d’arbres, dans le bocage normand, relativement préservé ici. J’arpente quotidiennement ces lieux et je les aménage, c’est dans ce rapport intime avec le bosquet que naissent les choix qui me portent à débiter à la scie tel prunier couché par les vents, à faire tomber tel hêtre (arbre dominant de ce lieu avec le chêne), à récupérer l’un des immenses brins de cette trogne de saule ancestral qui borde le fond du champ, pour en tirer quantité de cuillères, de louches, etc. Des voisins, des connaissances, de plus en plus nombreuses, me donnent aussi des morceaux choisis, en échange d’un objet tiré de ce don, qui l’immortalisera, quelque part…

J’utilise pour ce faire une grande scie à débiter, coins et masse, un départoir, puis ma hache de sculpture avec laquelle je crée l’ébauche du futur objet. Vient le temps des couteaux, couteaux croches, wastringues, gouges, rabots, planes, vilebrequin, selon les besoins. Je ne ponce pas, je cherche à effectuer manuellement le meilleur affûtage de mes outils (un apprentissage sans fin).

J’aime particulièrement pouvoir créer un objet intégralement sans système d’accroche ou d’étau, c’est mon corps qui est en prise directe avec l’objet : les cuillères s’y prêtent bien, l’on peut partir en forêt avec une hache, un couteau droit et un couteau croche et la sculpter entièrement sur place, assise à l’ombre des arbres, sur une souche… je me sens alors non seulement proche du monde vivant qui m’entoure, mais aussi des représentations des rapports anciens à ce monde, où le travail du bois se faisait sur place, à la bonne saison, de façon ingénieuse et simple à la fois, dans un rapport très intime avec ces géants ligneux.

Notre Sélection d’automne à laquelle vous participez fait honneur à la sculpture sur bois. Pouvez-vous nous parler de votre rapport à cette technique ?

Elle est née du besoin d’un rapport plus sensoriel et actif avec un monde qui n’avait aucun sens pour moi. Plus éthique aussi : j’ai cherché longuement une place juste dans un environnement qui ne me semblait plus pouvoir en offrir ; aujourd’hui j’essaie toujours de viser la justesse tout en façonnant jusqu’au milieu qui accueille toutes ces interactions : le territoire.

Le bois est fascinant car il est vivant à une échelle que l’on peut raisonnablement appréhender (quelques centaines d’années parfois) mais qui nous dépasse tout de même du fait de son extrême ancienneté sur terre. En nous faisant saisir le temps long du monde, il nous permet un dialogue profond, respectueux et réellement enrichissant en l’utilisant pour vivre de façon terrestre. Sculpter des pièces en bois depuis l’arbre choisi ou offert par les contingences, jusqu’à l’objet utile, avec une panoplie d’outils et de techniques riche de mondes, me pousse à rester humble tout en me rendant simplement heureuse.

L’outil et le geste sont deux éléments importants dans la sculpture sur bois. Comment résonnent t’il en vous ?

Quelque chose d’aussi fondamental que le familier se joue là pour moi. Le familier, on pourrait dire que c’est un ensemble de gestes, d’habitudes, qui se déploient à partir d’un être ou d’une chose au sein d’un univers donné, et qui constituent toute l’épaisseur des relations entre les deux (qui sont bien plus que deux en fait !) au fil du temps. Le familier, c’est quelque chose de paisible, où l’on se reconnaît, où l’on finit par connaître l’autre, même dans sa différence de nature. Et les relations, ce sont des modalités d’actions, d’échanges, d’influences, qui ne cessent d’évoluer. Donc dans l’outil et le geste qui matérialisent ce phénomène du familier, il y a à la fois une habitude qui se crée, une porosité des frontières entre des choses différentes, et une recherche ouverte de transformation, de finalité imaginaire jamais atteinte (la forme idéale). Quand on pratique, les choses semblent simples dans leur progression puis dans les techniques apprises, sans besoin de conceptualiser tout cela. Il y a un donné direct dans les sensations (ça fonctionne, ça ne fonctionne pas : je déchire les fibres ou je vais dans leurs sens par exemple), le sentiment de réussite ou pas (cette forme est satisfaisante, ou n’est pas du tout ce que j’avais en tête !). Et puis si l’on y réfléchit, il y a cette grande complexité (qui ne veut pas dire compliquée) de tout ce qui se joue dans l’usage de l’outil comme rapport médiatisé au monde, comme créateur de mondes, comme fabrication de soi. On a longtemps cru que c’était proprement humain, l’outil, mais on en revient (de nombreux êtres vivants utilisent des outils pour arriver à leurs fins). Je crois vraiment qu’on ne peut pas faire l’économie d’un examen éthique des outils dont on se dote, qu’on utilise quotidiennement, dans la création de nos mondes triviaux et poétiques, si l’on est en quelque façon chercheur ou chercheuse en vie bonne (en bonheur) en cohabitation avec tout ce qui peuple aussi la terre.

Comment choisissez-vous le bois que vous sculptez ?

Le plus souvent selon les contingences de mon environnement : arbres tombés, élagages des voisins, chutes d’ateliers partagées par des proches etc. Et dans cet éventail là, lorsque je le peux, je fais un choix par rapport à la demande qu’on m’a faite par exemple, selon l’usage de l’objet à créer. Du chêne ou du hêtre pour un usage qui devra durer plutôt que briller (bien que ce ne soit pas incompatible), du fruitier pour ses couleurs, des arbres plus légers (saule, peuplier etc) pour leur délicatesse et leur facilité. Parfois les affinités du moment l’emportent, je sculpte ces temps-ci de l’érable sycomore qui me rappelle les débuts de mon activité de sculpture, j’avais dû avoir accès par hasard à cette ressource, je retrouve avec grand plaisir son côté soyeux et irisé, tout en offrant une certaine densité…

Pouvez-vous nous présenter les pièces qui sont présentées dans notre Sélection d’automne ?

J’ai sculpté ces pièces utiles depuis un prunier et un pommier provenant d’un voisin éleveur de bovins, et d’un mirabellier de mon jardin forêt, tombé lors d’une tempête. C’est banal, mais c’est je pense qu’elles représentent bien l’état de ma pratique dans ce domaine. Je veux dire que c’est un arrêt sur image au cours d’une pérégrination dans le champ des formes possibles. Quelque part, ces cuillères contiennent toutes celles sculptées auparavant, et sont déjà une impulsion vers ce qui évoluera dans les prochaines. Je suis heureuse de l’histoire dont elles sont porteuses : ma propre recherche plastique, mon évolution technique (l’habilité progressive de l’artisane), les événements et les rencontres liées à mon lieu de vie, les échanges et les dons qui en résultent, les futurs qu’elles portent peut-être (futures maisons, futur.es usagers, futures histoires). Un objet en apparence simple, pas si simple à sculpter, qui incarne bien je trouve la rencontre entre le geste quotidien et vital de se nourrir, de cuisiner, et le prisme de la « civilisation » dans sa soif de l’objet esthétique, son besoin universel de créer. Enfin, elles sont porteuses de la raison pour laquelle je les ai sculptées, puisqu’il y a longtemps que j’avais envie que quelques uns de mes objets rejoignent l’univers de OROS !

  • Lieu : Normandie, France