Jérémy Aymard
Bonjour Jérémy, peux-tu te présenter et nous expliquer ta pratique actuelle ?
Je m’appelle Jérémy Aymard, je suis Ebéniste-Designer, basé à Marseille. Ma pratique actuelle est le fruit d’un parcours pluridisciplinaire. Designer de formation, je me suis orienté par la suite vers les métiers du bois en obtenant le CAP de menuisier chez les Compagnons. Après 4 années d’expériences au sein d’ateliers de menuiserie et d’agencement sur-mesure, j’ai décidé de me lancer en tant qu’indépendant en me consacrant exclusivement à la réalisation de mes créations.
Depuis 2023, je conçois et réalise des objets et du mobilier en bois sculpté, uniques ou en série limitée, en combinant savoir-faire traditionnels et technologies contemporaines. Cette approche hybride me permet d’explorer de nouveaux champs d’expression, créant des ponts entre design et artisanat.
Notre Sélection d’automne à laquelle tu participes fait honneur à la sculpture sur bois. Peux-tu nous parler de ton rapport à cette technique ?
J’ai débuté la sculpture sur bois de façon autodidacte en 2021, alors que j’étais encore salarié. À ce moment-là, c’était une manière de créer avec peu de moyens. J’ai commencé avec quelques gouges d’occasion et des chutes de bois récupérées, développant ainsi ma technique, perfectionnant mes gestes et affinant ma compréhension de la matière. Puis, ce qui était une passion annexe a pris de l’ampleur, au point de vouloir en faire mon activité principale.
Bien plus qu’une simple technique, la sculpture sur bois est devenue pour moi un véritable moyen d’expression. Elle me permet d’explorer la matière et de façonner des formes de manière instinctive. Face à un morceau de bois, je peux laisser libre cours à mon imagination, tout peut évoluer en cours de route, rien n’est figé. Ce qui m’a particulièrement séduit dans la sculpture sur bois, c’est sa dimension tactile : être au contact direct de la matière, imprégner sur le bois la marque de l’outil guidé par ma main, ressentir les textures qui jaillissent sous mes doigts. Tout cela fait partie intégrante de mon rapport intime avec cette pratique.
Quel est ton processus de travail quand tu sculptes le bois ?
Mon processus de travail débute par une phase de dessin. J’explore sur le papier les formes et les silhouettes que j’ai en tête. J’aborde cette étape comme un exercice d’écriture automatique, dans le but de faire naître de nouvelles idées. J’essaie de composer un langage, dans lequel les formes sont des protagonistes qui dialoguent entre elles.
Après avoir sélectionné un morceau de bois, j’effectue une étape de dégrossi, soit manuellement à la scie, soit numériquement avec un centre d’usinage numérique. L’utilisation de technologies modernes, comme la conception assistée par ordinateur et la fabrication numérique, me permettent d’explorer de nouvelles possibilités en termes de formes et de gagner en précision. Toutefois, je veille toujours à conserver une part importante de travail manuel dans chaque pièce.
Je poursuis alors à l’établi, où je m’emploie à ébaucher un volume général à partir de la forme préalablement découpée. Puis, au fur et à mesure, j’affine l’ensemble, pour finalement me concentrer sur la texture que je souhaite donner à la pièce terminée. Lorsque je travaille sur une pièce, j’alterne entre des moments de concentration intense et des pauses pour prendre du recul. Ces moments de réflexion me permettent d’évaluer l’évolution de la sculpture sous différents angles et d’ajuster ma vision si nécessaire. C’est un processus itératif où chaque coup de gouge peut influencer la direction finale de l’œuvre.
Ainsi, la sculpture est pour moi un dialogue constant entre l’idée initiale et la matière. Bien que je commence par une phase de dessin, je reste ouvert aux possibilités qui émergent pendant le processus de création. Cette flexibilité est essentielle, car le bois a sa propre personnalité et peut parfois suggérer des directions inattendues.
L’outil et le geste sont deux éléments importants dans la sculpture sur bois. Comment résonnent-ils en toi ?
L’outil et le geste, auquel j’ajouterais la matière composent les 3 éléments indissociables de ma pratique. La sélection d’un morceau de bois est le point de départ de toute nouvelle pièce. Chaque essence a ses propres caractéristiques, son veinage, sa densité, son coloris, qui rendent chaque pièce unique. Pour autant, il y a toujours une part d’incertitude au moment de tailler les premiers blocs, car chaque pièce de bois renferme son lot de surprises.
L’outil lui aussi influence l’objet final en inspirant une forme ou une texture particulière. Qu’il s’agisse d’une gouge, d’un couteau ou d’un rabot, chaque outil a son utilité propre et laisse derrière son passage une empreinte unique sur le bois. J’aime l’idée que ces marques racontent une histoire, celle de la rencontre de l’artisan avec la matière. Elles deviennent une sorte de signature qui témoigne du processus de création. Et puis en tant qu’artisan, j’ai une fascination pour les beaux outils. J’aime les collectionner, les utiliser et en prendre soin pour qu’ils durent longtemps. À force de pratique, j’ai appris à développer une relation particulière avec mes outils, pour qu’ils deviennent une extension de ma main et de ma pensée.
Le geste, quant à lui, fait le lien direct entre mon intention et la concrétisation matérielle. Au début, mes gestes étaient hésitants, puis avec l’expérience, ils sont devenus plus assurés et maîtrisés. Armé de patience, j’ai acquis les gestes avec le temps, ce qui en fait un héritage précieux. Il y a aussi la répétition des mouvements, qui me transporte par moment dans un état méditatif, dans une danse entre mon corps, l’outil et le bois. Et puis parfois, c’est la matière et ses imperfections qui guident le geste, ce qui m’invite à lâcher prise et à faire preuve de plus de spontanéité. C’est souvent dans ces moments que naissent les découvertes les plus intéressantes.
C’est donc ce dialogue entre la matière, l’outil et le geste qui donne à chaque pièce son caractère unique et authentique. J’entretiens avec ces 3 composantes une relation en constante évolution, qui me pousse à explorer de nouveaux procédés et instruments, pour élargir ma gamme d’expression.
En tant que designer et artisan, qu’apporte selon toi la sculpture d’un point de vue esthétique et/ou fonctionnel ?
La sculpture apporte avant tout une dimension sensorielle à mes créations. Les textures sculptées créent une manifestation visuelle, jouant avec la perception de celui qui les contemple. En créant des reliefs et des creux, j’influence la façon dont la lumière interagit avec l’objet pour produire des effets divers selon l’angle de vue. Cela ajoute une dimension temporelle à mes créations, qui deviennent vivantes et changeantes au fil de la journée.
Les surfaces texturées invitent aussi au touché, permettant d’établir une connexion émotionnelle entre l’objet et l’utilisateur. Cette dimension tactile ajoute également de subtiles qualités ergonomiques. Une surface légèrement sculptée peut offrir une meilleure prise en main, ou bien créer des zones de confort pour l’usager. C’est une façon d’allier l’esthétique à la fonctionnalité, avec des objets qui sont non seulement beaux à regarder, mais aussi agréables à utiliser.
Enfin, c’est un vecteur de transmission. J’utilise la sculpture comme un moyen pour exprimer des sensations et des émotions qui ne pourraient pas être évoquées par des formes purement fonctionnelles. C’est aussi une solution pour préserver et réinventer des techniques artisanales traditionnelles. En combinant ces savoir-faire anciens, voire même primitifs, avec une approche contemporaine, j’imagine des pièces qui sont à la fois ancrées dans l’histoire et tournées vers l’avenir.
En somme, la sculpture apporte une richesse esthétique et des qualités fonctionnelles au design permettant de créer, plus que de simples objets, des expériences uniques chargées d’histoire et promesses d’interactions sensibles.
Peux-tu nous présenter les pièces réalisées pour notre Sélection d’automne ?
Le bougeoir est sculpté dans une pièce de chêne qui a été ébonisé afin d’obtenir cette teinte noire profonde. L’ébonisation est un procédé utilisé pour obtenir une teinte noire résultant d’une réaction chimique entre le tanin du bois et l’acétate de fer. Conçue comme une hybridation entre le bougeoir et le contenant, cette pièce permet différents usages en fonction des saisons et des envies. Les pieds percés peuvent ainsi accueillir 3 chandelles, qui une fois allumées révèlent avec douceur la surface sculptée et entraînent une perception nouvelle de l’objet.
Concernant la série de ronds de serviette en noyer, elle se compose de 6 éléments, pensés comme 6 pièces uniques et permettant de distinguer les différents convives. Chacune des formes a été patiemment sculptée à la main. Ici, le travail au couteau donne un aspect brut et organique qui confère à l’ensemble une dimension quasi-primaire. Cette apparence rudimentaire laisse presque à penser que ces objets auraient pu être découverts sur un site de fouille archéologique. Leur prise en main, nous invite à les manipuler méticuleusement et à sentir leurs facettes sculptées sous nos doigts.
- Lieu : Marseille, France
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