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Junko Yashiro

Publié le 17/11/2025

Bonjour Junko, pourriez-vous nous parler de votre parcours académique et de ce qui vous a conduite à vous spécialiser dans la laque urushi ?

Je suis diplômée de l’École doctorale de l’Université des Arts de Tokyo, où je me suis spécialisée en laque. J’ai d’abord intégré le département des arts appliqués, puis j’ai choisi la laque parmi plusieurs disciplines dont la gravure métal, la forge, la fonderie, la teinture et la céramique. Je pense que, durant mon adolescence, mon intérêt pour la culture japonaise était assez limité. Comme beaucoup de Japonais de ma génération, je trouvais la culture occidentale plus attirante. C’est difficile à expliquer, mais le choix de la laque comme spécialité n’était pas motivé par une passion évidente à ce moment-là.

Pendant mes années d’études, j’étais submergée par la quantité d’informations que l’on nous donnait et je me sentais constamment hésitante sur de ma direction artistique. Ce n’est qu’après avoir obtenu mon diplôme que j’ai décidé de prendre la laque au sérieux et d’en faire ma profession. À partir de là, je me suis totalement plongée dedans et j’ai travaillé avec acharnement. Je crois que la laque m’a permis de rencontrer des personnes et, d’une certaine manière, de comprendre le Japon.

Qu’est-ce qui vous attire dans l’urushi ?

Ce sont tous les aspects qui échappent au contrôle humain. Même lorsque l’on croit maîtriser la matière, en réalité on ne la contrôle pas en totalité. La beauté de l’urushi est aussi quelque chose qu’un effort humain, seul, ne peut produire. Je sens dans ce matériau la même force, la même délicatesse, la même beauté et la même cruauté que dans la nature elle-même.

Vous considérez-vous plutôt comme artiste ou comme artisane du bois ?

Après mes études en laque, je me suis immédiatement consacrée à la création. Je n’ai pas l’expérience de l’apprentissage technique traditionnel, cette formation stricte qui, au Japon, forme ce que l’on appelle un artisan. Au Japon, un shokunin est une personne dont les compétences ont été affinées par un entraînement long et rigoureux. En ce sens, je suppose que je ne suis pas une artisane dans l’acception japonaise du terme.

Alors, suis-je une artiste ? Lorsqu’on me pose la question, je ne sais pas vraiment. Je ne cherche pas à transmettre un message personnel au monde. Je vois plutôt mon travail comme la mise en forme du sentiment de beauté que m’inspire l’environnement japonais dans lequel je vis. Si l’on appelle cela « art », cela me va aussi.

Il existe cependant des points communs mais aussi des différences entre la notion occidentale d’ « art » et la tradition japonaise de l’artisanat. Au Japon, il n’existait pas d’art séparé du quotidien : la beauté s’exprimait dans les objets d’usage – architecture, kimonos, ustensiles, etc. Les artisans et techniciens spécialisés étaient sans doute les artistes de leur époque.

Pourriez-vous décrire votre processus créatif et ce qu’il implique pour vous ?

L’industrie de la laque au Japon repose presque entièrement sur une division du travail. Bien que le processus comporte de nombreuses étapes, chacune est réalisée par un artisan différent. Chaque phase nécessite une compétence spécifique, et cette organisation est indispensable pour la production en série.

Dans mon cas, je donne forme à des pièces issues de mes propres dessins. Les traces laissées par les outils, les marques de ciseaux ainsi que la brillance de la laque, font partie intégrante du design. Pour que cela fonctionne, je suis obligée de tout réaliser à la main. Parfois, certaines techniques dépassent mes capacités. Dans ce cas-là, je fais appel à d’autres artisans spécialisés, ce qui devient aussi une source d’apprentissage précieuse.

Au final, j’assure à la fois le travail du bois et celui de la laque, mais je me sens encore souvent insuffisamment compétente techniquement et je pense que je devrai continuer à apprendre toute ma vie.

Quelle est votre vision de l’urushi dans la société contemporaine, en particulier au Japon ?

La situation autour de la laque est extrêmement difficile. La laque japonaise est très coûteuse, car la quantité récoltable est limitée. Le nombre d’artisans qui fabriquent les outils nécessaires au travail de la laque diminue chaque année, ce qui devient critique. Sans parler du temps que prend la réalisation d’une pièce, qui demande un nombre très important d’étapes.

Malgré tout, je pense que créer des objets en laque en vaut toujours la peine. Même avec les avancées technologiques, je ne crois pas qu’un substitut véritable à la laque apparaîtra un jour. Je pense que les artistes qui créent des pièces utilitaires comme ceux qui réalisent des objets sculpturaux utilisent la laque pour la même raison : parce que ce matériau est unique.

Je constate aussi que, petit à petit, davantage de personnes commencent à reconnaître cette singularité. Ceux qui font l’expérience de la beauté, de la résistance et de la délicatesse de la laque perçoivent probablement, à travers elle, l’essence même de la nature.
Cela conduit souvent à une réflexion sur notre propre nature et sur l’état du monde contemporain. Même si la situation est difficile, je crois que c’est précisément aujourd’hui que nous devons tirer parti de la puissance de ce matériau.

Pour notre Sélection Laque Urushi, vous présentez un récipient à saké. Pourriez-vous nous le présenter et nous dire comment vous en imaginez l’usage ?

J’ai conçu cette pièce spécifiquement pour servir le saké. Le corps est en bois de marronnier du Japon. Il a été façonné sur un tour, selon les mêmes techniques utilisées pour le tournage des bols. Le principe est similaire au tournage occidental, mais les outils et les méthodes de fabrication diffèrent. Avec un tour japonais, il faut également forger soi-même ses lames.

Après le tournage, j’ai sculpté l’extérieur au ciseau pour créer un relief marqué. L’élément clé du design est le contraste entre les arêtes nettes et droites et les marques plus primitives laissées par le couteau. L’anse en laiton a été réalisée par mon ami artiste, Go Uchibori.

L’intérieur est enduit de plusieurs couches de laque afin d’assurer l’imperméabilité. L’extérieur est traité selon la technique du fuki-urushi, qui consiste à essuyer la laque pour préserver la texture sculptée. Cette méthode protège le bois tout en laissant visible le grain et les traces de sculpture.

Au Japon, les récipients à saké prennent des formes innombrables, et le geste de verser fait partie du plaisir. Bien sûr, on peut l’utiliser pour d’autres boissons comme le thé. Je serais heureuse que son futur propriétaire l’utilise librement, à sa façon.

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  • Lieu : Japon
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