Nicholas Shurey

Publié le 15/08/2019

Nicholas nous a séduit par son approche globale du bois. Polyvalent, il sculpte des pièces abstraites, conçoit du mobilier, collabore avec des architectes. Au travers de cette pratique, il fait tomber des barrières dans un secteur très souvent segmenté. Découverte.

 

Comment te définis-tu? Comme un designer, un sculpteur?

C’est une question que je me pose parfois et à laquelle j’ai du mal à répondre. Bien qu’ayant eu une formation de designer et d’architecte, mes pièces vont au delà du processus de conception : c’est une approche émotionnelle et complexe que le mot « designer » ne décrit pas. C’est pour moi une forte affirmation de définir mon travail comme de l’art, mais je ne me sens pas à l’aise avec le terme « sculpteur ».

 

Tu as auparavant travaillé comme architecte d’intérieur à Space Copenhagen et Studio Toogood. Qu’as-tu appris de ces expériences ? Tu collabores encore aujourd’hui avec des architectes, expose tes pièces au sein des projets de Norm Architects et réalise des modèles pour Nicolas Lee Architect. Est-ce important pour toi de conserver ce lien avec cette pratique ?

Mes années passées au sein des studios d’architecture d’intérieur ont été très importantes pour développer ma sensibilité esthétique – l’importance de connaitre certaines références, apprécier les formes, comprendre les matériaux. Mais la chose la plus importante sans doute, a été d’apprendre que la conception d’espaces et de produits est une discipline bien plus vaste que ce que nous pouvons imaginer. Nous pourrions davantage la définir comme une « création d’expériences ». Pouvoir créer et conter une histoire à travers chaque conception est un élément essentiel à cette approche. Les fondateurs de Space Copenhagen et Studio Toogood sont des narrateurs incroyables auprès de qui j’ai été ravi d’apprendre. Bien que je ne travaille plus directement dans le secteur de l’architecture, je me sens toujours inextricablement lié à celle-ci. De la même manière qu’une bonne histoire dépend du choix minutieux des mots, un bon espace dépend des détails et des objets présents. Collaborer aujourd’hui avec des architectes est donc un prolongement naturel de mon travail.

 

Comment en es-tu venu au travail du bois ?

Aussi loin que je puisse me souvenir, j’ai toujours apprécié de créer des choses par moi même, et en grandissant j’ai aidé mes parents sur la rénovation de notre maison de famille. Ces projets impliquaient souvent du bois, j’ai donc rapidement eu une certaine familiarité avec la menuiserie. Au printemps dernier, j’ai décidé de quitter mon poste en agence d’architecture et de passer quelques mois en Suisse aux côtés d’un agriculteur/sculpteur. Je passais mes journées à l’aider à la ferme, à soigner les moutons et à cultiver la terre, à faire les foins et construire des serres. Pendant mes pauses, je faisais des croquis dans la grange ou le verger et le soir je concevais des modèles en argile ou en bois. C’était incroyablement libérateur de commencer avec un bloc de bois massif, de le sculpter puis de révéler la forme qui s’y cachait. Je ne voulais pas perdre ce sentiment de liberté quand je suis rentré à Copenhague, alors j’ai acheté des outils de sculpteur et ne les quitte pas depuis.

 

As-tu un lien spécial au bois ou es-tu également attiré par toute autre forme de matière ?

Les matériaux naturels m’attirent de manière générale, bien plus que les matières synthétiques. Mais je dois avouer que j’ai une affinité particulière avec le bois. Je pense que cela provient de mon amour pour la nature et les activités en plein air – je me souviens encore de mon enfance passée sous les arbres en pleine forêt, et l’odeur du bois fraichement coupé m’y ramène automatiquement. Prendre une bûche sciée, avec ses surfaces rugueuses et inégales, la façonner lentement, en l’affinant jusqu’à ce qu’elle soit aussi lisse que de la pierre polie est un sentiment incroyablement haptique et gratifiant.

 

Préfères-tu travailler un bois en particulier ?

En ce moment, j’aime le contraste entre l’uniformité, la clarté et la douceur des bûches d’érable provenant des forêts du nord de la ville, et la teinte intense et le grain strié du noyer que j’achète auprès d’un négociant en bois. Bien qu’ils soient plus difficiles à travailler, je préfère les bois durs car ils ont très souvent un grain plus riche et varié, et que l’on peut facilement les poncer jusqu’à obtenir une surface presque parfaite et lisse.

 

Quelle est ta méthode de travail ? Choisis-tu un bois et imagine le projet ou inversement ?

Je commence toujours par une longue période d’esquisses, sans forcément penser au résultat final. Je travaille tant avec du bois déjà séché qu’avec des bûches de bois vert que je prépare et sèche moi même. L’apparence des bûches varie beaucoup, ce qui signifie que je dois développer mes idées en fonction de l’évolution de chaque bûche. Pour les plus grandes pièces, que ce soit du mobilier ou des sculptures, je me procure des planches de bois déjà sec, plus stables, qui me permettent de travailler avec précision.

 

Comment définirais-tu ton travail ? Certaines de tes sculptures sont très organiques et poétiques, lorsque ton bol en noyer est plus familier et ludique.

J’aime penser que l’ensemble de mon travail est ludique, bien que certaines pièces (comme le bol en noyer) sont bien plus effrontés que d’autres. Je suppose que le fil conducteur entre elles réside dans une certaine curiosité de la forme. Le dessin de plans architecturaux m’a permis de comprendre comme le geste simple d’une ligne ou d’une courbe peut avoir un énorme impact dans l’expérience. Je privilégie les formes organiques car j’ai une certaine satisfaction à dessiner des courbes douces, se reliant les unes aux autres, et c’est encore plus satisfaisant quand on arrive à les mener à une apparence matérielle. Je crois qu’une bonne sculpture doit emplir ses spectateurs d’un désir de la toucher, que nous sommes intuitivement attirés par les objets organiques qui nous rappellent le corps.

 

Qu’est-ce qui t’inspire ?

Être dans la nature est très certainement la plus grande inspiration pour moi. J’ai grandi à la campagne, et je me rend compte que lorsque je suis loin de l’agitation de la ville, je suis davantage capable de me laisser aller et de rendre mon esprit plus créatif. Bien sûr, d’autres sculptures, pièces d’art, mobilier, et tout objet dignement réalisé vont aussi m’intriguer et m’inspirer.

 

Comment penses-tu que l’artisanat va évoluer dans le futur ?

L’artisanat est devenu un mot assez mal utilisé ces dernières années, mais je pense qu’il y a clairement un retour en arrière vers des objets d’artisanat bien dessinés et dont la production nécessite des compétences artisanales. La notion d’artisanat est en contradiction totale avec la manière dont, dans les sociétés développées, nous consommons les choses avec excès. L’artisanat est donc pour moi l’un des antidotes au consumérisme capitaliste. J’espère que, compte tenu des menaces existentielles réelles telles que le changement climatique et l’épuisement des ressources, nos sociétés pourront en partie se reconvertir vers une économie artisanale. Bien sûr, les objets artisanaux nécessitent plus de travail, ce qui engendre un coût supplémentaire considérable. Il est toujours difficile d’en faire plus avec moins de produits de qualité supérieure, fabriqués de manière éthique, locale, naturelle et durable. Il est aussi pour moi important d’avoir les compétences nécessaires pour pouvoir réparer les choses plutôt que de simplement les jeter.

 

Où pouvons nous trouver tes pièces ? Tu as récemment partagé une photos depuis le nouvel espace The Audo à Copenhague.

Oui, j’ai plusieurs pièces exposées à The Audo, et j’en ajouterai d’autres tout au long de l’année. J’apprécie toujours de visiter les ateliers d’autres créateurs, vous êtes donc les bienvenus pour passer à l’atelier, découvrir mon travail, et discuter autour d’un café.