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Sacha Parent

Publié le 02/05/2023

Sacha est une designer basée entre Arles et Paris. Son parcours l’a menée à se questionner sur notre relation aux matériaux naturels. Nous dévoilons ensemble en ce printemps 2023 une nouvelle gamme de mobilier développée pour les Éditions OROS, mêlant bois massif et paille de seigle. Nous en avons profité pour l’interroger sur son processus de création.

Bonjour Sacha, pourrais-tu présenter ?

Je m’appelle Sacha et je suis designer. Diplômée de l’ENSCI les Ateliers en 2021, mon studio de design est toujours basé à Paris, même si dans les faits, je n’y suis plus beaucoup. Depuis quelques mois, je bouge dans différents coins de France afin de mener des projets de recherche à fort ancrage local, vers Arles, Marseille, Nantes et Limoges.

Pendant mes études, j’ai eu la chance de développer une appétence pour le textile en passant par l’école Duperré, mais aussi pour la terre et le verre lors d’un échange au National Institute of Design à Ahmedabad en Inde. Plus globalement, c’est ma formation à l’ENSCI qui a permis d’ancrer ma production autour de la question des process de mise en forme et des protocoles de création. Depuis je développe une recherche personnelle sur ce que je nomme les « géométries matérielles » : elle me permet d’associer à chaque matière parcellaire, une géométrie simple, afin de mettre en place des protocoles de co-création permettant de générer des volumes.

Avant de poursuivre mes propres recherches, j’ai travaillé pendant deux ans pour le Studio Bouroullec où j’ai été l’une des assistantes de Ronan Bouroullec. Là bas, je travaillais sur des projets aux matérialités variées et très identifiables: textile, terre, verre, aluminium… Aujourd’hui, je collabore notamment avec l’Atelier Luma où je développe différentes recherches portant sur le sel et la laine. Ces travaux ont abouti à la production de micro-architectures mettant en avant les propriétés respectives de ces deux éléments typiques de la Camargue. Comme pour le reste de mon travail, la question du mode de mise en forme y est crucial et se mêle à une volonté d’ancrage territorial.

Comment définirais-tu ton travail ?

Comme je l’évoquais à travers mon parcours, mon travail est de l’ordre de la recherche en design. Une recherche qui, comme avec OROS, cherche à pénétrer les sphères de notre quotidien et donc de la production d’objet ou de mobilier. Ce qui m’intéresse c’est analyser minutieusement les process et les modes de mise en forme qui nous permettent de produire tout un tas de choses et pas seulement dans les typologies « produit ».

Je cherche ainsi à questionner la manière dont on produit des esthétiques contemporaines. La question du vocabulaire et de l’ornementation m’intéresse tout particulièrement. Questionnement qui se traduit par une attention portée aux outils habituellement associés à la pratique du designer. La 3D et l’uniformisation des esthétiques qu’elle a engendré est une des choses que mon travail  traite en mettant en place des protocoles de co-création. Je dessine alors les conditions d’expression d’une matière qui va ensuite engendrer des volumes: je mets alors simplement en avant les usages qui en découlent. C’est ce qui se passe d’ailleurs avec l’étagère Amas.

D’où vient ton intérêt pour la paille de seigle ?

Mon intérêt pour la paille de seigle découle de cette question du protocole et de la co-création matérielle. Pour moi la paille de seigle est une ligne matérielle qui me sert de support à une recherche volumique par amassement. Les volumes produits sont définis par le comportement de cette matière sans lui imposer un dessin. Pour l’accompagner, je dessine simplement ses conditions d’expression, en imaginant des séries de matrices qui me permettent de tourner autour de l’archétype du fagot.

Suite à la présentation de cette étagère, nous avons décidé de développer d’autres typologies de mobilier reprenant l’utilisation de la paille de seigle et le bois massif. Quel a été ton processus de création ?

Dans un second temps, ces volumes de paille deviennent des extrusions structurantes mais naturelles qui me permettent d’en faire, dans le cas de l’étagère Amas, les pieds d’une étagère. C’est un peu ma manière de travailler que j’applique aux différentes matérialités et/ou process de mise en forme qui sont à ma portée. Je travaille par itération afin de réintroduire certaines matérialités dans nos objets du quotidien.

Après, il y a plus directement les qualités esthétiques et narratives de la paille qui m’intéressent. Sa brillance, ses vibrations, sa flexibilité mais aussi tous les « mobiliers régionaux » qui s’en étaient emparés… La chaise paillée est une pièce de mobilier très forte et que j’ai gardée en tête tout au long du projet. En se positionnant vis à vis de cet archétype du paillage, l’ensemble de la collection dessinée pour OROS permet à la paille de réintégrer nos intérieurs. Chaque pièce cherche à trouver un équilibre entre l’utilisation de la paille de seigle et celle du bois : l’un puis l’autre prend le dessus; les deux permettent de se souligner.

Le développement de ces 3 pièces a été marqué par notre volonté commune d’ancrer leur production à une échelle locale. C’est ce qui a permis de faire passer le projet de l’état de recherche en design à mobilier édité avec, je crois, un vrai positionnement dans le mode de production. La paille est cultivée et récoltée à la main en France, et le frêne est produit et mis en forme dans le sud de la France.

Nous avons également expérimenté différentes teintes naturelles pour le bois. Peux-tu nous en dire plus sur ce process ?

Lors des différents développement textiles que j’ai pu déjà faire, que ce soit chez les Bouroullec ou pour l’Atelier Luma, la question de couleur et donc des teintures a toujours été crucial. Au fur et à mesure de ces expériences, j’ai été notamment initiée aux techniques de teinture végétales. Pour OROS et le traitement du bois, il me paraissait important de réintégrer cette question de la couleur par le bais des colorisation naturelle.

Les tanins, qui sont plus ou moins présents dans les différentes essences de bois, peuvent réagir au contact de différents agents. Lors de ces réactions, les tanins colorent la fibre du bois massif. On obtient ainsi des palettes de couleurs, plus ou moins vives, mais toujours extrêmement surprenantes. On a donc fait beaucoup de test avec du chêne, du châtaignier, et finalement du frêne, pour trouver le bois qui correspondrai à nos différentes attentes.

Pour la paille de seigle, la démarche était similaire. Nous avons alors travaillé avec Jean Luc Rodot, qui est le dernier producteur de pailles de seigle dédiées à l’ameublement en France. Habituellement, il travaille pour les constructeurs de toit de chaume ou les établissements produisant de la marqueterie de paille. Pour notre projet, il nous a aidé à mettre au point des couleurs réalisées par teintures végétales.

Quel regard portes-tu sur l’univers domestique moderne et comment penses-tu que ce mobilier peut s’y intégrer ?

Je pense que globalement nos intérieurs se sont beaucoup appauvris. Que ce soit d’un point de vue du dessin ou des matérialités, la plupart des objets qui nous entourent sont à la recherche d’une efficacité économique et productive qui oublie qu’ils seront amenés à être utilisés. Je crois profondément aux phénomènes d’attachement qui nous lient aux choses matérielles, c’est sûrement pour ça qu’au tout départ j’ai eu envie de produire des objets. Je suis donc plutôt pessimiste (rires) ! Mais en même temps, je vois jaillir depuis tout temps, des initiatives qui cherchent à donner de la valeur aux objets de notre quotidien : c’est ce que j’essaie de faire aussi.

L’étagère Amas est un ovni dont la présence cherche à nous mettre face à l’uniformisation de nos intérieurs. Les étagères murales en sont des versions plus soft. Le tabouret, quant à lui, joue le jeu de la subtilité et de la référence : il s’introduit au milieu des autres sans trop se faire remarquer. Il est peut être un peu moins direct que les deux autres mais c’est son efficacité pour moi…

Comment imagines-tu le design mais aussi l’artisanat français évoluer ?

L’artisanat, c’est le savoir faire, c’est la qualité. C’est ce qui nous permet de porter une attention aux choses que l’on produit. Donc pour moi, le design contemporain doit se re-pencher sur l’artisanat. Je comprends tout à fait les fascinations formelles que l’industrie engendrent – j’en suis victime aussi (rires) – mais l’artisanat, et les styles qu’il a permis d’engendrer à travers différentes époques, permet de re-situer nos productions. Toutes ces choses incroyables permettent de stimuler les formes et les volumes que l’on engendre. L’artisanat nous pousse, en tant que designer, à nous entourer de plus savants, de plus habiles, de plus ingénieux, afin de produire mieux. C’est ce que j’aime quand je travaille avec des artisans, c’est que les projets qui sortent sont bien meilleurs, et pas seulement pour des questions de conception, d’humilité aussi.

La France est un pays qui regorge de savoir-faire , d’Hommes et de Femmes passionnés qui réalisent localement des choses incroyables… C’est pour ça que si je suis officiellement basée sur Paris, je n’y suis plus vraiment.

  • Photographe : 3 et 5 Joana Luz, 13 Danke, 15 à 18 Emmanuelle Roule, 19 Véronique Huyghe
  • Lieu : Paris et Arles, France
  • Site : https://sachaparent.cargo.site