Julien Colboc

Publié le 27/12/2020

Au coeur de la forêt de Fontainebleau, Julien Colboc sculpte le bois. Formé à l’École des Arts Décoratifs de Paris et plus récemment à la menuiserie et l’ébénisterie, il se qualifie comme « valorisateur de bois ». Façonnant des sculptures monumentales ou des plus petites pièces, Julien aime conserver certaines techniques traditionnelles dans sa pratique, mêlées à des outils plus modernes. À travers cette démarche, il arrive à se sentir plus proche de la matière. Rencontre.

Parles nous de ton parcours.

Je suis diplômé des Arts Appliqués en graphisme (ENSAAMA) et des Arts Décoratifs de Paris en peinture et sculpture. J’ai donc un profil plutôt artiste. En entrant dans l’atelier bois des Arts Décoratifs en 1999, j’ai retrouvé l’ambiance de l’atelier de mon arrière grand-père. Je suis devenu accro au bois. J’ai alors commencé mes premières sculptures. Je travaillais déjà avec des branches brutes, du bois tronçonné, des chutes provenant des déchets de l’atelier, alors que certains étudiants en mobilier se questionnaient sur ma pratique. La même année, une violente tempête a arraché et cassé beaucoup d’arbres, ce qui m’a permis d’avoir de la matière première à profusion. J’ai aussi commencé en fouillant dans des bennes de chantier pour y recycler des chutes de bois rouges. De l’upcycling avant l’heure en quelque sorte. C’est ainsi que je me définis : Valorisateur de bois. Durant la même année, j’ai pu participer à un projet de sculpture monumentale sur les bords de Seine impliquant 6 troncs de chêne de 1 mètre de diamètre avec Daniel Pestel, l’artiste intervenant. J’ai alors rencontré ma première tronçonneuse et je ne cesse depuis de travailler avec. Mon diplôme de fin d’étude portait sur un projet de flottaison de chêne sur la Seine et de construction d’une structure flottante au pied de la BNF. J’étais déjà dans une logique de promotion de la filière bois. Depuis 2001 je pratique les deux métiers de graphiste et sculpteur.

Comment concilies-tu ces deux activités ?

En 2004 j’ai conçu mon premier projet mêlant graphisme et sculpture sur bois. J’ai proposé au département des Hauts-de-Seine de valoriser des tilleuls abattus dans une allée du Parc de Sceaux. J’en ai taillé des pièces de charpente de bateau émergeant du tronc brut. Un parcours graphique de 12 panneaux expliquait comment les bateaux étaient taillés dans des arbres sous Colbert. Celui-ci avait rédigé un édit en 1669 qui limitait la coupe des arbres près des fleuves, rivières et côtes. Il écrivait en ancien français : «Il faudra que les forêts se soustiennent ». Soutiennent, sustainable… Il était déjà conscient de la notion de développement durable. Ça ne date pas d’hier ! Par la suite j’ai conçu et réalisé d’autres projets pédagogiques dans l’éco-quartier du Pyla en 2016, le siège de Picard en 2019, ou encore dans la Communauté de communes du Val Briard en 2020. En 2006 j’ai été contacté par le Palais de Tokyo à Paris pour mettre en place un concours de sculpture à la tronçonneuse. J’ai contacté les bûcherons de la Ville de Paris pour qu’ils nous livrent 12 billes de chêne du bois de Vincennes. Elles furent installées dans la cour, bien connue des skateboarders. Pendant 2 jours les tronçonneuses ont vrombri pour transformer la matière en sculptures. Après une résidence à la Halle Papin à Pantin, nous nous sommes installés vers Fontainebleau en 2018, à la lisière de la forêt pour y développer mes différentes activités: sculpture sur bois, artisanat, tournage, stages, interventions en public, interventions scolaires et périscolaires, graphisme… Mon modèle économique, un sujet primordial que je partage avec mes stagiaires, repose sur plusieurs activités complémentaires. C’est ce qui me permet une résilience bien utile par les temps qui courent.

Que recherches-tu à travers les pièces que tu crées ?

Quand je créé une œuvre je cherche à apaiser, faire du bien en douceur et en courbes et retrouver l’enfant qui est en moi. Ça peut mettre des années avant de trouver la bonne forme, le bon équilibre. Et ça demande aussi beaucoup d’essais et d’erreurs. Mais ça peut aussi être très rapide. Chaque sculpture réussie est une victoire face au désenchantement du monde que nous vivons.

Tu travailles le bois vert. Peux-tu nous parler de cette typologie de bois ?

En 2011 j’ai été lassé de travailler le bois en étant éloigné de la matière par les outils électroportatifs à cause de leurs vibrations, de leurs bruits et de la poussière. Je me suis intéressé au travail du bois vert via les réseaux sociaux et les vidéos en ligne grâce au #greenwoodworking. Le bois vert est un bois fraichement coupé, encore « vert ». Il est plus facile à tailler au couteau ou à la hache qu’un bois sec. Les anciens le travaillaient beaucoup. Pour exemple, les charpentes étaient taillées en bois vert. Le mouvement du travail du bois vert est important en Angleterre notamment. Il y a aussi beaucoup d’adeptes en France, et des réunions annuelles en Bretagne et en Corrèze. Il permet entre autres de redécouvrir les richesses de notre patrimoine d’outillages et de pratiques régionales. Peu à peu j’ai introduit dans ma pratique des outils tels que la hache, la plane, le couteau… C’est parfois plus rapide d’épanneler à la tronçonneuse et de dégrossir à la hache/herminette. Puis j’ai commencé à tailler des cuillères et des bols. J’ai donc développé une seconde pratique du travail du bois. Très vite j’ai senti le besoin de partager le plaisir de travailler le bois à l’ancienne à travers des stages en forêt ou dans mon jardin en lisière forêt.

Tu prends plaisir à la fois à apprendre et transmettre, en quoi est-ce important pour toi ? 

Je ne suis pas le meilleur tailleur de cuillères mais je prends un plaisir fou à partager ma passion et à transmettre ce que je connais. C’est d’ailleurs en transmettant que j’apprends. J’ai développé une pédagogie qui part du bois brut et des gestes les plus simples grâce aux haches et planes pour finir par le couteau. J’aime beaucoup, entre autre, intervenir dans les quartiers de Trappes ou Pantin où les enfants sont plein d’énergie. Je les fais monter sur des bancs d’âne, sorte d’étaux en forme de banc, pour les reconnecter à eux même. Je propose aussi des stages sur une ou deux journées pour les adultes tout niveau. Les outils que j’utilise et que je mets à disposition des stagiaires permettent à chacun de se familiariser avec le travail manuel. Ils fendent un tronc en bois encore vert avec un départoir et un maillet – outils du bardelier, le tailleur de tuiles en bois – avant de tailler avec une hache très affûtée ou une plane. J’observe et corrige alors la maîtrise de soi et de l’outil en orientant chacune et chacun vers un travail en pleine conscience. On se respecte et on respecte le bois. Alors le corps est prêt à tailler le bois correctement. J’attire l’attention des stagiaires sur la nécessité de respirer. Le souffle participe pleinement à cette activité. Il est même central dans le dynamisme nécessaire à l’effort et au renouvellement énergétique perpétuel. Un rythme de jazz sur 3 temps s’installe alors. Cette musique porte les stagiaires jusqu’à la mi journée. L’après-midi sera plus orienté sur les finitions à la plane et au couteau, dans le calme du jardin. Ils retrouvent ainsi intuitivement les habiletés innées de leurs corps, plus adaptés à travailler le bois que de rester devant un écran. Mes initiations ont pour but de donner le goût du travail du bois en transmettant une passion et un savoir-faire ancestral et d’avenir dans l’espoir de créer des vocations. Les participants repartent avec des notions d’autonomie, fondamentales dans ma pédagogie : affûter sa lame, retaper des vieux outils, récupérer son bois, se faire soi-même ses bancs de travail, faire parti d’un réseau social réel et non pas seulement virtuel.
Cette année, j’ai moi-même suivi des stages pour approfondir ma technique : ébénisterie, menuiserie, tournage sur bois… D’autres sont prévus comme le tour à perche ou forge. Je ne cesse d’apprendre et j’ai un besoin incessant de transmettre. Nous sommes toutes et tous dans un processus d’instruction permanente. Ma famille a aussi une place importante dans cet apprentissage. Le soutien infaillible de ma femme depuis 21 ans est une force dont je ne pourrai pas me priver. Et le bonheur de voir maintenant mes enfants courir dans l’atelier, tailler du bois ou tester mes sculptures-jeux m’empli de joie.

Quelles sont tes inspirations ?

J’ai besoin de me plonger une heure par jour dans la Forêt de Fontainebleau. J’y décharge mon trop plein d’énergie et y retrouve l’émerveillement du petit Julien que je cherche à retrouver, à ne pas perdre. Les arbres m’aident beaucoup. Le silence ouaté des sols de mousse aussi. L’inspiration provient alors du silence et du vide. David Nash et Guiseppe Penone sont des artistes qui m’ont beaucoup marqué étant étudiant, ainsi que les amis sculpteurs de ma grand-mère architecte : Pierre et Véra Székély, Henri Guérin, Marino Di Teana… Et puis aujourd’hui Instagram est une belle source d’inspiration, tout comme la moitié des artisans qui exposent à mes côtés sur ce site.

Peux tu nous parler de la pièce Maillon en pin que tu présentes au Marché OROS ?

C’est du bois valorisé, une chute d’une maison en fustes construite en normandie. L’inspiration initiale est un gros tenon mortaise de charpente. J’ai réalisé le même principe en plus grand pour l’aire de jeux de l’éco-quartier du Pyla à la Teste de Buch. Modulable, c’est un vrai plaisir de la prendre dans les mains et de l’orienter à souhait.

Compte Twitter @colboc

  • Photographe : Photos 1, 4, 6, à 10, 12, 14, 15 Marie-Lys Hagenmüller | Photos 5, 7, 9 Roger Sauvageot | Video Olivier Lattuga
  • Lieu : Fontainebleau, France
  • Site : https://www.juliencolboc.com