Rabea Gebler & Ido Ferber Sentomono

Publié le 26/10/2021

Ido et Rabea composent le duo derrière Sentomono. Depuis le Japon, ils apprennent des techniques ancestrales et expérimentent de nouvelles formes, donnant vie à des pièces à mi chemin entre tradition et modernité. Rencontre.

Bonjour Ido et Rabea, pouvez-vous vous présenter ainsi que votre parcours ?

Nous sommes Ido et Rabea, un couple vivant et travaillant à Tokyo, au Japon. Nous avons tous les deux un diplôme en design industriel et une forte attirance pour l’artisanat. Rabea vient d’Allemagne et Ido d’Israël, où nous nous sommes rencontrés lorsque Rabea faisait son programme d’échange à l’Ecole des Beaux-Arts Bezalel. Nous venons d’horizons différents mais partageons le même ressenti envers la pratique moderne du design industriel et croyons aux valeurs esthétiques et durables de l’artisanat traditionnel.

Pourquoi avoir choisi Tokyo pour développer vos pratiques ?

Nous avons emménagé ensemble au Japon après que Ido ait reçu une bourse pour réaliser sa Maîtrise en Artisanat à l’Université des Arts de Tokyo. Comme nous sommes tous les deux fascinés par l’artisanat japonais depuis quelques années maintenant, nous avons saisi cette opportunité pour en apprendre davantage sur les populations locales, la culture, les outils et les artisans. En temps de pandémie et sans touristes dans le pays, nous avons eu la chance de visiter toutes sortes d’endroits et de les vivre plutôt en tant que locaux qu’en tant qu’étrangers. Nous nous sentons très chanceux de pouvoir être ici.

Comment travaillez-vous ensemble ?

Nous ne travaillons généralement pas ensemble pour la création de nouvelles pièces car nous avons souvent nos propres idées. En revanche, nous apprenons régulièrement de nouvelles techniques ensemble, partageons des connaissances, des outils et des muscles ! Nous nous entraidons toujours pour des choses plus faciles à faire à quatre mains ou deux cerveaux. Mais nous avons aussi des projets communs sur lesquels nous travaillons ensemble comme la construction de notre atelier ou la rénovation de la maison en bois dans laquelle nous vivons, construite il y a plus de 80 ans.

Quel est votre rapport au bois ?

Ido : Je pense que c’est avant tout celui que j’entretiens avec les arbres, les plantes et la nature en général. Mon père est oléiculteur et cultivateur passionné d’arbres fruitiers. Mon enfance a beaucoup tourné autour de la nature, en y étant immergé mais aussi en apprenant d’elle. Être menuisier pour moi, ce n’est pas seulement travailler le bois, c’est aimer la nature et en faire partie.

Rabea : Le bois me fascine car il est vivant. J’ai l’impression d’entrer en conversation avec la matière lorsque je travaille avec. Il n’y a qu’une limite à ce que vous pouvez lui demander de faire et il garde toujours son propre caractère singulier. J’aime particulièrement travailler avec des outils manuels, laissant des traces de haches et de couteaux, ajoutant mon propre récit à l’histoire racontée par le bois.

Qu’avez-vous appris de l’artisanat japonais ?

Ido : Je pense que la chose la plus importante que j’apprends en ce moment est l’importance de l’engagement et de la répétition. L’importance de répéter vos actions encore et encore, d’échouer à maintes reprises jusqu’à ce que vous atteigniez vos objectifs. Il peut être agréable de faire quelque chose une fois et de réussir, mais faire la même chose 100 ou 1000 fois est beaucoup plus difficile, surtout si vous échouez les 500 premières fois.

Rabea : Il y a ce sens profond d’écouter le matériel, de vraiment comprendre ce qu’il vous dit et comment il aimerait être traité. J’ai l’impression que dans l’artisanat japonais, les processus sont décomposés en très petites étapes et chaque étape en elle-même est considérée comme d’égale importance et digne de la perfection. Il y a un nom et un outil spéciaux pour chacune de ces étapes et souvent la création d’un seul objet peut-être divisée entre plusieurs artisans. Cette concentration sur la perfection et l’idée que l’on n’arrête jamais d’apprendre, c’est ce qui, à mon avis, fait vraiment la différence avec l’artisanat japonais.

Vous vous intéressez à la finition urushi, pouvez-vous nous présenter cette technique ancestrale ?

L’urushi est un matériau fascinant utilisé pour laquer une variété de matériaux différents, notamment la porcelaine, le métal, le cuir, le papier et le bois. Il est fabriqué à partir de la sève de l’arbre à laque originaire d’Asie et que l’on trouve principalement au Japon, en Corée et en Chine. Il possède des propriétés uniques telles que la résistance aux acides, aux alcalis, à l’alcool et à la chaleur, ce qui le rend suffisamment durable pour que les objets laqués durent des milliers d’années. En fait, certains des plus anciens navires urushi japonais remontent à environ 7000 av JC. L’urushi est également un matériau très délicat et complexe à travailler pour de multiples raisons, l’une étant qu’il contient de l’urushiol qui peut provoquer des irritations cutanées légères à sévères s’il n’est pas soigné correctement et les artisans obtiennent une immunité contre cela pendant des années. La laque ne durcit que dans un environnement chaud et humide spécifique, généralement dans ce qu’on appelle un muro, une armoire en bois à température et humidité contrôlées. Le processus de laquage d’un objet comprend l’application de nombreuses couches minces, chacune durcie pendant quelques jours avant l’application de la suivante. La fabrication d’un navire peut donc prendre des mois.

Pouvez-vous nous présenter les différentes pièces que vous avez créées pour la sélection « On The Table » ?

Ido : Pour cette sélection j’ai créé 4 bols tous taillés dans le même arbre qui a été abattu dans mon université, un micocoulier chinois qui a poussé trop haut et trop près des fils électriques. Donner une seconde vie à un arbre qui aurait été jeté me procure beaucoup de plaisir, notamment lorsqu’il devient de la vaisselle utile qui servira pendant des années.

Rabea : J’ai été intriguée par le lustre de l’urushi et par la beauté avec laquelle il reflète la lumière d’un objet. J’ai donc créé une série d’assiettes et de cuillères inspirées de la mer, laquées en urushi noir, représentant différentes ambiances des eaux sauvages du Japon. Tenir ces objets, laisser le soleil donner vie aux textures comme s’il s’agissait des eaux en mouvement – pour moi, c’était un réel plaisir de faire ces pièces.