Dimitri Felouzis Atelier DFA

Publié le 07/10/2021

Le travail de Dimitri nous séduit. Pour sa singularité, sa brutalité, mais aussi sa précision. Architecte de formation et artisan, il propose des projets empreints de sens. Rencontre.

Bonjour Dimitri, peux-tu nous raconter ton parcours ? 

J’ai avant tout une formation d’architecte, qui m’a menée à bricoler par ci et par là avec des copains ou sur des chantiers participatifs. Puis un changement de pratique s’est imposé à moi quand j’ai intégré l’association Bellastock orientée sur le réemploi des matériaux dans la construction. J’y ai travaillé seulement une année mais j’ai compris l’importance de protéger nos ressources, de donner une dimension humaine à la construction et l’impact social de l’architecture sur son territoire. Cela a suscité en moi le besoin de faire des choses par moi même et de pratiquer le travail du bois. Aujourd’hui installé à Montpellier, je commence à trouver un équilibre car je pratique à la fois l’architecture et le design du bois au sein de ma structure Atelier DFA. Je trouve le temps d’alterner mes semaines entre mes chantiers et l’atelier de menuiserie dans lequel je travaille, la Menuiserie Collaborative. Là-bas je rencontre du monde, on échange sur nos pratiques et on se file des coups de mains, pour moi ça a du sens d’être dans un lieu partagé comme celui-ci. 

Tu sembles très attaché aux ressources et savoir-faire locaux. Pourquoi est-ce important pour toi ? 

C’est d’abord une question d’engagement. Le monde de la construction représente 70% des déchets. Penser sa manière de construire, une chaise ou une maison, c’est repenser l’impact de l’homme sur son milieu. Le réemploi est au centre de ma pratique, du fait de mon parcours, mais aussi des convictions que je me suis forgées. Lorsque l’on construit aujourd’hui il est inévitable de se poser la question de la provenance des matériaux et de leur cycle de production. Utiliser le bois afin de réduire les émissions de co2 c’est une bonne voie et cela répond à beaucoup de préoccupations, mais ça reste une industrie avec ses dérives et ses impacts. Le réemploi contourne complètement cette question et replace le travail humain au centre en le relocalisant. Il faut beaucoup de matière grise pour travailler avec de la matière de seconde vie. Ensuite, mon attachement aux ressources locales c’est une question esthétique, dans le sens du rapport physique à la matière. Une matière naturelle produite localement, avec des artisans et des acteurs passionnés, c’est la garantie d’une matière de très bonne qualité, qui vivra dans le temps et donnera de la poésie à un objet ou un espace. 

Tu développes la menuiserie en parallèle de ton activité d’architecte. Qu’est-ce qui te plaît dans cette pratique ? 

Travailler à l’échelle d’un objet c’est être dans un rapport direct à la matière car je réalise moi même mes créations. Chose qui n’existe pas dans une position d’architecte, car dans ce cas tu penses la matière, mais ce n’est pas toi qui la met en œuvre. Produire soi-même c’est faire en pensant, c’est intuitif comme procédé. Et puis il y a aussi la temporalité. En quelques semaines je peux réaliser un objet dont je suis satisfait (dans le meilleurs des cas), ou en une journée je peux réussir à réaliser le détail que j’avais imaginé. C’est cette spontanéité que je recherche. Et je dirais enfin, que c’est le rapport sensoriel qui me plaît. C’est une matière qui vit, avec son odeur et son toucher propre selon chaque bois, chaque arbre. Quand je travaille une poutre qui a 50 ans, le bois a tant travaillé c’est magique, je voyage. 

Comment aimes-tu utiliser le bois en architecture et en design ?

Le bois en architecture est une question pratique. Avant d’être écologique, c’est un matériau simple d’utilisation. Il est léger, facilement façonnable, et il favorise l’autoconstruction. J’ai plusieurs projets en cours allant dans ce sens. Certains de mes clients ont du temps, veulent baisser les coûts et souhaitent s’investir dans la construction de leur habitat. Cela donne beaucoup de liberté dans l’appropriation de son lieu de vie. Du côté de l’architecte, c’est un matériaux exigeant, qui ne supporte que la précision d’exécution. Dès l’étude d’un projet il faut penser aux détails constructifs et d’assemblages car cela a une incidence directe sur l’architecture dans son ensemble. Ce sont des aller-retours permanents entre les échelles. En design c’est la même chose, penser une forme ne suffit pas, il faut tout de suite savoir comment l’exécuter. En fait je crois que je pratique ces deux disciplines de la même manière. Mais j’ajouterais que pour un objet, les détails sont encore plus prégnants et finalement c’est là que je trouve ma liberté. Dans ces détails je peux chercher à montrer par exemple la naturalité du bois. Avec la chaise Grume, j’ai travaillé les champs de l’assise à la gouge pour suivre le fil du bois et trouver sa courbure naturelle. Ce détail me vient du travail de l’artiste Giuseppe Penone, chez qui il y a une vrai compréhension de la matière. C’est en faisant que j’ai perçu l’ampleur de son travail. 

Peux-tu nous présenter le banc Grume qui fait parti de la Sélection “On The Table” ? 

Le banc Grume est un objet très simple qui comporte une part discrète de poésie. C’est une approche que j’essaie d’atteindre dans chacun de mes projets : j’aime les choses simples et évidentes avec une économie de moyen. Et cela demande beaucoup de temps pour trouver cet équilibre, en tout cas pour moi. Le banc Grume fonctionne comme un portique, c’est un élément d’architecture. Il se compose de deux piles imposantes vieillies par le temps et son usage dont j’ai laissé les marques apparentes pour raconter son histoire. Puis de trois longues traverses, qui forment le linteau, sur lequel on s’assoit. En vieux chêne retravaillé au rabot, ces trois signes clairs tranchent avec la rugosité des pieds et de leur passé.