Victor Giannotta Sepa

Publié le 18/08/2021

Tu sembles être constamment en mouvement et mouvance. Pourrais-tu nous présenter ton parcours ?

À Paris, j’ai commencé à oser écrire. Le carnet m’a permis de formuler la manière dont je vois le monde. Au fur et à mesure, cela s’est transformé en littérature et poésie de voyage. Ça parlait beaucoup de nature, du dehors. Toutes ces choses-là m’ont ramenées à la Franche Comté, à être fier de ma provenance. Un petit village dans le Haut-Doubs. J’avais du mal à me tracer un parcours et à me dire, qu’à la suite d’Olivier de Serres, j’allais continuer en DSAA, puis en Master et enfin dans une agence. Il y avait l’opportunité, dans ces études, de voyager. Alors je suis allé au Danemark où j’ai travaillé dans une agence de design d’objets, puis une agence de mode où l’activité était beaucoup plus créative et m’a donnée envie de me rapprocher des arts plastiques. Aux Beaux-Arts, je déconstruisais ce que je croyais acquis en moi, discutais beaucoup avec mes camarades et m’intéressais de plus en plus aux savoirs-faire artisanaux anciens, ainsi qu’au bouddhisme zen japonais. Au fur et à mesure, l’étau se resserrait vers des métiers plus manuels avec le bois. J’ai eu la chance de participer à un échange avec le Japon, qui m’a totalement chamboulé. Je pouvais parler plus librement de mon rapport presque personnel avec les objets. Ce rapport à l’objet du quotidien qui devient fantastique, unique et sacré m’a beaucoup travaillé. Suite à l’exposition réalisée avec les japonais, j’ai quitté les Beaux-Arts pour retourner en Franche Comté m’isoler une année. J’ai eu envie de fabriquer des objets pour essayer d’en faire quelque chose. De plus en plus, je me dirige vers le bois mais je ne dis pas que l’année prochaine ou dans dix ans je ne ferai pas de la taille sur pierre. Je me vois développer mon activité avec d’autres personnes en montant un atelier par exemple. Aujourd’hui, avec la formation de menuiserie que j’ai suivi, je me rends compte que les valeurs qui sont véhiculées dans ce monde-là; les valeurs du soutien, du travail partagé, collectif et solitaire; ont du sens. C’est comme ça que j’espère construire quelque chose.

Le bois semble être un de tes matériaux de prédilection. Quel rapport entretiens-tu avec lui ?

Je suis sensible à d’autres matériaux mais le bois a été évident. J’en ai toujours été entouré. Quand j’étais petit je vivais dans un chalet. C’est une matière qui me semble la plus naturelle. Elle se rattache à toute cette famille de matériaux qui nous entoure en permanence. Que ce soit la terre, les pierres et puis le bois.

Loin des machines et de l’industrie, par tes outils et ton processus créatif, quel univers cherches-tu à construire ?

C’est un univers que j’ai envie de partager. Comme un ensemble d’objets, de formes, de morceaux de moi-même que j’ai envie de diffuser. Par la fabrication de ce genre d’objets, je construis progressivement un abri où ces choses-là pourraient exister davantage. Le mouvement engendre le mouvement, c’est comme un mantra que j’ai inscris dans ma tête, et qui m’aide à considérer des situations concrètes : avoir un espace pour appréhender le travail de manière beaucoup plus sereine. J’ai envie de sortir de ces relations à distance, j’ai envie d’être dans l’accueil, dans la rencontre, dans la transmission. 

Ton univers est profondément ancré dans la nature qui t’environne. Travailles-tu toujours sur le lieu où tu trouves la matière  ?

Pour le moment je n’ai pas d’atelier fixe, c’est un atelier plutôt itinérant comme je travaille avec des outils manuels. J’aime beaucoup cette manière de travailler car j’établis ma zone de travail partout. J’ai envie de m’adapter à l’endroit où je me trouve. Le bois est un matériau au caractère universel car peu importe où tu vas, tu en trouveras. Que ce soit dans les Cévennes, en Franche Comté ou dans les Pyrénées Orientales, en Hollande ou au Vietnam, il y a toujours cette matière-là qui existe et se décline à l’infini. Je m’attache à utiliser le bois qui correspond à l’endroit où je me trouve. J’essaie de comprendre, non pas ma logique, mais celle de l’environnement dans lequel je me trouve et m’adapter à ça. Je me souviens toujours de là où j’ai trouvé le bois. J’essaie de transmettre les sensations de là où je l’ai trouvé. C’est presque imperceptible, c’est difficile mais ça m’importe.

Dans ton processus créatif, passes-tu par un travail préparatoire, de l’esquisse ou des expérimentations ?

Je suis plutôt instinctif. C’est peut-être une façon de chasser la manière de faire en design où tu dessines ton truc puis tu le réalises. Au fur et à mesure, en fonction des noeuds, en fonction du sens du fil, des courbes qu’il peut y avoir, ça se taille, ça se creuse. J’aime le côté sensible du matériau qui fait que les choses ne sont pas toutes droites. Je ne veux pas moi faire des choses toutes droites, car ce n’est pas naturel, c’est de la vie.

As-tu l’impression de magnifier le bois ? De valoriser les possibilités que la nature offre ?

J’essaie de trouver des morceaux délaissés qui ne seraient pas valorisés dans les métiers du bois comme on l’entend. Je fais en ce moment une formation menuiserie, on nous apprend à lire le bois, de sorte qu’il soit le plus beau possible. Je peux comprendre ça dans le mobilier mais je n’ai pas envie que ça devienne ma manière de penser, au contraire. J’aime les morceaux de bois un peu tordus même si ce n’est pas ce que l’on attend et qu’ils sont difficiles à travailler. J’essaie aussi d’en faire des objets possiblement utilitaires. J’ai envie qu’ils soient utiles pour qu’ils passent entre les mains. Un objet qui parle de là où il provient.

Es-tu sensible aux questions environnementales ? À la préservation des traditions locales ?

Je suis très critique concernant la production de bois actuellement. La plupart des scieries se sont adaptées aux essences de bois cultivées en masse en France, et la palette de bois indigènes d’œuvre diminue largement et est difficile à se procurer. Les métiers liés au bois sont en voie de disparition, à l’image du menuisier avec qui j’ai eu la chance de travailler, qui est l’un des derniers artisans s’évertuant à ne travailler que le bois. Il est sollicité pour des chantiers de restauration bien en dehors de son périmètre d’action local, ce qui fait poser des questions quand au nombre d’artisans traditionnels restants. La démarche que j’ai c’est de me positionner à contre-courant. Je n’ai pas envie de fabriquer des choses neuves pour fabriquer des choses neuves. J’ai envie d’utiliser des matériaux qui sont là depuis tout temps, qui n’ont pas été valorisés d’avance et en faire quelque chose qui vient être utilisable, qui s’inscrit dans la vie. 

Propos recueillis par Barbara Roussel

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